Un enfant né d'une mère porteuse ne deviendra pas nécessairement l'enfant du couple dit d'intention, puisque le Code civil du Québec comporte un article qui frappe de nullité les ententes ou contrats signés avec une mère porteuse.
«C'est là l'une des limites du Code civil qui feront du droit de la famille l'un des sujets d'actualité en 2015», affirme Alain Roy, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.
Selon le juriste, qui préside le Comité consultatif sur le droit de la famille, créé en avril 2013 par le gouvernement du Québec, la disposition qui invalide les contrats avec une mère porteuse n'est toutefois «pas très efficace : d'une part parce que des contrats sont quand même conclus malgré la nullité absolue prévue au Code civil et d'autre part parce qu'une des conséquences de cette situation est l'émergence du tourisme procréatif, qui a cours dans des conditions éthiques discutables».
L'enfant de qui?
Actuellement, la mère porteuse est réputée être la mère de l'enfant qui vient au monde. Et l'homme du couple avec lequel elle a noué une entente peut aussi devenir le père en signant la déclaration de naissance de l'enfant.
Sous l'influence de la jurisprudence, qui a évolué depuis 1994, le droit reconnaît que «la mère porteuse et le père peuvent consentir à l'adoption en faveur du conjoint ou de la conjointe de celui-ci. Cette personne devient de la sorte parent adoptant», explique Alain Roy.
Ainsi, pour un couple hétérosexuel ou un couple gai, l'interprétation du droit a évolué à la faveur de la filiation souhaitée par le couple d'intention.
Or, tel n'est pas le cas pour les femmes seules ou les homosexuelles en couple qui recourent aux services d'une mère porteuse. «Elles ne pourront réaliser leur projet parental parce que, à défaut de règles précises balisant la maternité de substitution, il faut s'en remettre au cadre légal de référence de la filiation dite par le sang, indique M. Roy. On reconnaît la mère porteuse qui accouche comme étant la mère, mais, comme on ne peut avoir deux mères dans un scénario de procréation naturelle, la femme seule ou les deux conjointes ayant fait appel à une mère porteuse ne pourront obtenir de filiation avec l'enfant.»
Outre cette distinction, Alain Roy constate que le système juridique actuel «n'est pas toujours très protecteur pour l'enfant, notamment lorsqu'une mère porteuse met au monde un enfant handicapé et que le couple d'intention n'en veut pas». Comme l'entente est nulle du point de vue du droit, le couple n'a pas de responsabilité à l'égard de l'enfant et ne peut, par exemple, être poursuivi pour le versement d'une pension. La mère porteuse devient donc la seule mère, alors qu'elle ne le voulait pas.
Quel statut pour le beau-parent après une séparation?
Une autre question à laquelle souhaite répondre le comité présidé par M. Roy touche le statut du beau-parent au sein d'une famille recomposée avec enfants. En effet, qu'advient-il de la relation entre le beau-parent et les enfants lorsque le couple reconstitué se sépare?
Car pour l'enfant le beau-parent n'est pas un étranger et les liens qu'ils établissent ensemble au quotidien ne sont pas neutres!
«Le nouveau conjoint de la mère ou du père est considéré comme un tiers pour l'enfant, sans statut légal particulier, et ne peut – du moins en principe – exercer l'autorité parentale en compagnie du parent, rappelle le professeur de droit. La jurisprudence a tenté de combler le vide, mais il appartient au législateur de décider, dans l'intérêt de l'enfant, si le beau-parent peut se voir accorder un rôle concret ou, au contraire, s'il n'est pas souhaitable de donner à l'enfant trois ou quatre titulaires de l'autorité parentale.»
La Loi sur le divorce, instaurée par le gouvernement fédéral, prévoit certaines dispositions sur le sujet, mais on n'a pas l'équivalent en droit civil québécois dans le cas d'une union de fait, remarque-t-il d'ailleurs.
Une réforme vieille de 35 ans
La dernière réforme du droit familial remonte à 1980. Depuis cette époque, plusieurs phénomènes ont évolué, dont celui des ruptures familiales et des familles recomposées, tout comme la possibilité pour les couples homosexuels d'avoir des enfants.
Pour Alain Roy, le rapport que déposera en avril prochain le comité de 10 experts qu'il préside cherchera à proposer un cadre juridique qui réponde de façon plus adaptée aux réalités sociales et familiales d'aujourd'hui.
«S'il y a une préoccupation majeure qui sera au centre de nos réflexions, c'est l'intérêt de l'enfant et le respect de ses droits, conclut-il. Notre mission est de passer nos propositions par le filtre de l'intérêt de l'enfant et de consolider ses droits là où le législateur a peut-être pu les négliger dans le passé.»
Martin LaSalle
Les enfants discriminés en droit jusqu'en 1980
Avant la réforme du droit familial de 1980, les enfants québécois faisaient l'objet d'une discrimination en fonction du statut légal de leurs parents. Aux débuts du Code civil, en 1866, il existait plusieurs catégories d'enfants. En haut de la pyramide se situait l'enfant légitime né durant le mariage de ses parents, et lui seul avait une véritable filiation porteuse de droits et d'une responsabilité parentale. Suivaient l'enfant né en dehors du mariage ainsi que l'enfant adultérin, puis l'enfant issu de l'inceste, chacun étant évidemment illégitime et n'ayant aucun droit – ou très peu.
D'ailleurs, l'enfant adopté fut lui aussi longtemps discriminé. Les dernières distinctions faites à son égard ont disparu à la fin des années 60. Quant aux distinctions entre les enfants légitimes et illégitimes, elles ont été complètement éliminées en 1980, quand la réforme du droit familial a introduit le principe d'égalité des filiations, peu importe les circonstances de la naissance de l'enfant.
En France, ces distinctions sont totalement disparues en 2006.