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Entretien avec un notaire au parcours atypique

Jonathan Lalande Bernatchez, étudiant à la maîtrise en droit notarial et stagiaire en notariat au Ministère de la Justice Canada, s’entretient avec Me Claude Laurent.

 

Photo : Collection personnelle

En d’août 2020, après trois sessions intensives de cours en droit notarial et juste avant d’entreprendre mon stage, j’ai eu la chance de m’asseoir avec Me Claude Laurent pour discuter (à distance bien sûr) de son parcours singulier de notaire.

Depuis près de 25 ans, Me Laurent occupe d’importantes fonctions dans des ordres professionnels québécois. Il a été syndic et directeur du développement à la Chambre des notaires. Après, il deviendra directeur-général et secrétaire à l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés, avant d’occuper ces mêmes fonctions à l’Ordre professionnel de la physiothérapie pendant plus de 8 ans. Il a aussi été syndic adjoint et syndic ad hoc à l’Ordre des administrateurs agréés. Qui plus est, Me Laurent a été membre, pendant plusieurs années, de différents conseils d’administration, notamment ceux d’Éducaloi et de la SOQUIJ où il agit comme président du comité de gouvernance et des ressources humaines.

Les questions que je lui ai posées sont celles d’un étudiant et notaire-en-devenir qui a un intérêt marqué pour le droit administratif, qui souhaite se construire une carrière en pratique dite non traditionnelle, puis qui se demande « en 2020, comment fait-on ça? ». En espérant que l’entrevue qui en résulte puisse bénéficier aux étudiantes et étudiants qui entament leur maîtrise en droit notarial et qui ont les mêmes questionnements que moi.

Jonathan Lalande Bernatchez : Vous avez été notaire dans une étude plus traditionnelle pendant 21 ans avant de faire le saut et d’opter pour une pratique différente dans le monde des ordres professionnels. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire ce changement?

Me Claude Laurent : Cela n’est pas arrivé d’un seul coup. Au début des années 1990, j’ai postulé à la Chambre des notaires pour être syndic correspondant. Je continuais ma pratique, mais j’acceptais des mandats d’enquête. Au même moment, je faisais des études supérieures en gestion au HEC. En 1996, le président de la Chambre de l’époque m’a demandé d’occuper la charge de syndic et j’ai accepté. Il faut comprendre que les années 1990 n’étaient pas si faciles pour le notariat. L’immobilier avait connu une chute liée aux taux d’intérêt exorbitants de l’époque. La fin du tarif obligatoire avait également entrainé une intensification de la concurrence entre notaires. Ce n’est que par la suite qu’il y a eu une réflexion plus poussée au sein de la profession sur la saine concurrence et la saine gestion des études notariales. Donc, en 1996, j’ai accepté le défi de devenir syndic à la Chambre des notaires et ce fût un tremplin pour moi. Par la suite, on m’a demandé de devenir directeur du développement. La direction du développement regroupait près de la moitié des activités de la Chambre à l’époque. Après, je suis devenu Directeur général à l’Ordre des traducteurs, puis ensuite à l’Ordre de la physiothérapie.     

JLB : Comme vous l’avez mentionné, vous avez travaillé au sein de différents ordres professionnels, notamment ceux qui regroupent les traducteurs, les physiothérapeutes et les administrateurs agréés. Je me demandais si, dans votre expérience, il y a des qualités et compétences que les notaires possèdent généralement et qui sont particulièrement appréciées à l’extérieur du domaine notarial. Et puis, dans le même ordre idée, avez-vous constaté des différences d’approches entre les notaires qui agissent an tant que conseillers juridiques ou gestionnaires, puis leurs collègues avocats qui occupent les mêmes fonctions? 

CL : Ça, c’est clair. Il y a évidemment une différence d’approche. Au cours des 25 dernières années, j’ai travaillé principalement avec des avocats au sein de différents ordres professionnels. Dans ces organisations, on ne fait jamais de distinction qu’une personne soit avocat ou notaire. Mais, fondamentalement, l’approche n’est pas nécessairement la même. Il faut comprendre qu’il y a très peu d’avocats travaillant dans les ordres professionnels qui agissent comme plaideurs. La plupart du temps, lorsqu’une cause doit être plaidée, les ordres professionnels embauchent une firme d’avocats externe. Ainsi, un notaire peut très bien faire le même travail qu’un collègue avocat au sein d’un ordre. D’ailleurs, comme preuve, beaucoup de notaires sont impliqués dans le système professionnel québécois. À un moment, il y a avait cinq directeurs généraux d’ordres professionnels différents qui étaient notaires. Sinon, il y a effectivement une différence d’approche. J’ai vu des collègues avocats qui occupaient des postes de gestionnaires avoir une façon plus contentieuse de faire face à des problèmes. Ils avaient la répartie facile pour dire « poursuivons-les » ou encore ils étaient plus prompts à vouloir s’embarquer dans des procédures judiciaires. Pour un notaire, ce n’est pas le premier réflexe. Il y a une différence de culture. Cela dit, les avocats ne la voient pas toujours cette différence, mais nous on la constate. En tant que notaire, je dirais que notre approche est plus « cool ».   

JLB : Selon votre expérience, est-ce qu’il a des défis particuliers auxquels doivent faire face les notaires qui décident de travailler dans des domaines autres que la pratique traditionnelle, par exemple dans un ordre professionnel? Je pense notamment à des défis qui ont trait aux perceptions.

CL : Il y a certainement un défi à surmonter au niveau des perceptions. En tant que gestionnaire et membre de différents conseils d’administration, lors d’affichages de poste de juristes, il m’est fréquemment arrivé de rappeler que l’emploi pourrait être offert à un notaire. Dans ce type de situation, mes collègues vont généralement reconnaitre que c’est tout à fait le cas. Mais, au départ, on ne pense pas nécessairement aux notaires. Il faut savoir qu’il y a des ordres professionnels qui embauchent de très jeunes avocats avec peu d’expérience en tenant pour acquis qu’ils connaissent le droit administratif, alors que ce n’est pas toujours le cas. La perception est que l’expertise juridique du notaire se situe plutôt dans d’autres domaines. Or, le droit professionnel et le droit administratif, ça s’apprend « sur le tas » dans la pratique. C’est de cette façon que les avocats se développent et les notaires font la même chose. Alors, le principal obstacle est clairement une question de perception et non de compétence ou d’aptitudes. 

JLB : À vos yeux, quel rôle joue l’implication sociale, communautaire et professionnelle dans la construction d’une carrière de notaire, notamment en pratique non traditionnelle?

CL : Pour moi, c’est primordial! Je trouve d’ailleurs que généralement les notaires ne s’impliquent pas toujours assez. Entre autres, en comparaison avec leurs collègues avocats. J’ai souvent été le seul notaire à siéger à certains conseils d’administration d’organismes à vocation juridique, comme SOQUIJ ou Éducaloi, ou communautaire. Mes collègues administrateurs étaient pour la plupart avocats et ils agissaient bénévolement. D’ailleurs, il y a des organismes très forts qui ont été construits par l’implication bénévole d’avocats. Je pense, par exemple, à Justice Pro Bono, à Juripop, au Jeune Barreau de Montréal et au Jeune Barreau du Québec. On voit des avocats impliqués partout dans notre société, alors que l’implication des notaires est moins visible. Aussi, les notaires publient beaucoup moins. Chez les avocats, c’est très valorisé d’avoir fait des publications. Du côté des notaires, il y a des professeurs d’université qui écrivent beaucoup et qui sont d’excellents porte-paroles. Mais il y en a trop peu. On constate ces différences lorsqu’on examine des CV lors d’embauches : les avocats ont souvent des publications et plusieurs expériences de bénévolat dans une foule d’organismes, alors que c’est moins souvent le cas chez les notaires. Moi personnellement, j’ai eu l’occasion de m’impliquer dans différentes organisations et cela m’a rapporté beaucoup à divers niveaux. Toutefois, ce n’est pas toujours le réflexe premier des notaires. 

JLB : Pour finir, y a-t-il un conseil que vous auriez aimé que l’on vous donne lorsque vous avez quitté l’université et commencé votre carrière de notaire? 

CL : Je ne sais pas s’il s’agit d’un conseil. Mais, en ce qui me concerne, j’aurais certainement aimé, dès le départ, être plus alerte à toutes les opportunités qui s’offraient à moi. J’aurais souhaité voir, dès le début de ma carrière de notaire, qu’il y avait plusieurs voies qui étaient possibles sur le plan professionnel : d’autres possibilités que la gestion d’une étude traditionnelle.   

Par Jonathan Lalande Bernatchez, étudiant à l’Université de Montréal et aspirant notaire

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