Stéphane BEAULAC, « La mise en œuvre judiciaire des obligations internationales du Canada en matière de droits humains : obstacles et embûches », dans O.E. Fitzgerald, V. Hughes & M. Jewett (dir.), Reflections on Canada's Past, Present and Future in International Law / Réflexions sur le passé, le présent et l’avenir du Canada en matière de droit international, Waterloo : CIGI, 2018, 31-47.
Résumé :
Anglais : It is true that in Canada there is an increased enthusiasm on the part of courts, especially since the 1999 Baker case, to resort to international normativity, especially in the field of human rights protection. In others words, the country’s international obligations in this field are, as much as possible, implemented by judicial decisions. However, these issues of interlegality continue to be understood pursuant to the meta-principle of dualism, that is to say, based on the idea of a divide between the normative realities of international law and domestic law. Under Canada’s public law, following the Anglo-Saxon common law tradition, the principles of the rule of law and of the sovereignty of parliament remain also highly important in considering these questions. So in view of these basic tenants, domestic courts may, at their discretion, have recourse to international law as a source (or element) that is relevant and persuasive to their interpretation and application of domestic law. They use two techniques to judicially operationalize international law, namely the argument of contextual interpretation and the presumption of conformity with international law. This being the case, as regards the country’s international human rights obligations, as in other areas, caselaw shows the judiciary has developed a series of ways to impede upon the use of such international normativity. Reviewing recent decisions on interlegality, the chapter highlights the main obstacles and pitfalls in that regard. There are three: the divide between international-national legal realities, which can justify the non-reception of international normativity; the weak argument relying on international law as context, which can be weighted down and even completely neglected; and finally, pretexts to sidetrack international normativity by means of the presumption of conformity operationalization technique, namely the precondition of ambiguity of the legislative text and the fact that this operationalization technique is a “mere presumption”, rebuttable if there is an intent to the contrary.
Français : Il est vrai qu’au Canada, il existe un enthousiasme accru de la part des tribunaux, depuis l’arrêt Baker en 1999, de recourir à la normativité internationale, surtout dans le domaine de la protection juridique des droits humains. En d’autres termes, les obligations internationales du pays en la matière font l’objet d’une mise en œuvre judiciaire, en autant que faire se peut. La problématique de l’interlégalité, toutefois, continue d’être appréhendée eu égard au méta-principe lié au dualisme, c’est-à-dire qu’il y a cette ligne de séparation entre les réalités normatives de droit international et de droit interne. En droit public interne au Canada, suivant la tradition anglo-saxonne de common law, la suprématie parlementaire et la primauté du droit demeurent également hautement importantes pour ces questions. Ainsi, eu égard à tous ces principes fondamentaux, les tribunaux nationaux peuvent, à leur discrétion, avoir recours au droit international, à titre de source (ou élément) pertinent et persuasif, dans le cadre de l’exercice d’interprétation et d’application du droit interne. Pour ce faire, les deux techniques d’opérationnalisation judiciaire sont l’argument international d’interprétation contextuelle et la présomption de conformité au droit international. Ceci étant, s’agissant des obligations internationales du Canada en matière de libertés fondamentales, comme dans les autres domaines, force est de constater qu’en jurisprudence, les tribunaux ont développé une série de façons pour faire obstacle, pour mettre des embûches, à l’utilisation de la normativité internationale. À l’aide de causes récentes soulevant des enjeux d’interlégalité, le chapitre examine les principaux obstacles et embûches, au nombre de trois, à la mise en œuvre judiciaire du droit international en matière de droits humains au pays. Il s’agit : de la ligne de séparation international-national, qui peut justifier une fin de non-recevoir à la normativité internationale; de la faiblesse de l’argument international d’interprétation contextuelle, qui peut être pondéré à la baisse et même marginalisé complètement; enfin, des prétextes pour contrecarrer la technique d’opérationnalisation au moyen de la présomption de conformité au droit international, à savoir la condition préalable d’ambiguïté du texte législatif et le fait qu’il s’agirait d’une « simple présomption » réfragable s’il y a intention législative contraire.